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LIVRE D'OR

LE MOT DU PRÉSIDENT D'HONNEUR


 Monsieur Michel Rousset est un ancien professeur émérite à la faculté de droit de Grenoble et doyen honoraire de l’Université de Grenoble,leProfesseur Rousset à enseigné à la Faculté de droit de Rabat entre 1962 et  1966, il à été directeur de l’Ecole nationale d’Administration publique (ENAP) de Rabat de 1966 à 1972, et à rédigé plusieurs ouvrages de droit sur le Maroc.

Il a participé aux premiers travaux de la régionalisation au Maroc sous Hassan II, ainsi qu'à la rédaction de la Constitution marocaine de 1996.

        Le droit de propriété face aux spoliations au Maroc

  Début février 2013 le journal  Le Dauphiné Libéré publie  un reportage  intitulé :Maroc ,la grande spoliation montrant comment  des propriétaires étrangers ,mais cela concernera aussi des marocains , pouvaient être dépouillés de leurs biens immobiliers terrains ou  villas  .Ces spoliations , il convient de le préciser  , ne concernent pas seulement   Casablanca ; elles touchent également  d’autres villes du Maroc Agadir ,Rabat , Fès ou Tanger ainsi que j’ai pu le constater moi même et cela depuis longtemps . Ayant lu cet article j’ai immédiatement réagi en rédigeant une courte note intitulée :<< La coopération judiciaire franco marocaine  doit permettre de lutter  contre les spoliations au Maroc  >>. On se trouvait en effet à la veille de la visite du Président de la République Française au Maroc . J’ai envoyé cette note à un hebdomadaire Marocain qui ne l’a pas publiée ;Je l’ai également fait parvenir au Conseiller de Sa Majesté le Roi, le professeur Omar Azziman que je connais depuis de nombreuses années et celui ci m’a répondu en m’indiquant que le ministère de la justice suivait ces affaires en instance devant les différentes juridictions du Royaume  qui en étaient saisies.
Parallèlement j’ai transmis cette note à l’Association pour le Droit et la Justice au Maroc dont l’adresse électronique figurait au bas du reportage publié par le  Dauphiné Libéré.
 Pour quelles raisons ai-je apporté mon soutien à l’Association ? Trois raisons expliquent ma réaction :l’une est circonstancielle ,la seconde procède de considérations humaines et la troisième , totalement fondamentale , découle de que je crois  à l’Etat de droit  pas seulement dans les textes mais aussi  dans la vie quotidienne des citoyens auxquels il doit protection et justice .
Tout d’abord , de manière tout à fait improbable , j’ai été consulté en 1999 par la famille d’un ancien notaire de Tanger qui avait elle même été victime  d’une spoliation organisée par des aigrefins bénéficiant de complicité à la conservation foncière  et probablement aussi  dans d’autres cercles liés à l’intérieur , la police et la justice . Sur la base de faux documents établis par un notaire espagnol , la propriété avait été vendue et l’acte de vente transcrit par le Conservateur  sans autre forme de procès ; mais bien plus , non seulement  les propriétaires ont appris de la bouche du conservateur de la propriété foncière qu’ils n’étaient plus propriétaires , mais que leur bien avait fait l’objet  de plusieurs reventes successives ce qui rendait pratiquement  et juridiquement impossible la récupération de leur bien .
L’action en justice qu’ils ont intentée contre le conservateur n’a jamais aboutie : Quatre juges d’instruction se sont succédés sur cette affaire et jamais  celle ci n’a été renvoyée devant la juridiction de jugement ; ce qui avait pour conséquence  selon l’adage selon lequel “ le pénal tient le civil en l’état “ , que les victimes ne pouvaient pas  rechercher la responsabilité personnelle du conservateur au civil  et obtenir réparation du préjudice faute pour la juridiction pénale d’avoir rendu son jugement . De la même manière il n’était pas possible de rechercher cette réparation en dirigeant l’action en responsabilité contre l’Etat pour faute du service public de la conservation foncière devant la juridiction administrative, ce qui d’ailleurs posait le problème pour lequel j’étais consulté , de savoir si cette responsabilité de l’Etat pouvait être recherchée alors qu’un texte spécial datant de 1913 semblait établir la responsabilité exclusive du conservateur pour les fautes qu’il pourrait commettre dans l’exercice de sa fonction  sauf en cas d’insolvabilité . J’ai suivi cette affaire jusqu’à la fin de l’année 2001; mais je ne sais pas comment elle s’est achevée ; je sais seulement , aux dires  d’un avocat de Casablanca qui en était chargé , que les propriétaires n’ont pas pu récupérer leur bien .
A la même époque d’autres personnes avaient été victimes de ces mêmes pratiques à également Tanger. L'une d’ elles avait publié un opuscule qui leur était consacré. Ce texte publié en 2000 , était intitulé :<< Trafic-titres fonciers à Tanger >>. Son auteur , Mohammed Mardi ,dédiait ce dossier à tous ceux qui s’étaient heurtés à l’injustice et à l’usurpation et il ajoutait que << dans un pays où l’on revendique  les droits de l’homme , la démocratie  et la transparence  c’est à la justice d’intervenir >> ce que manifestement elle ne faisait pas . Ceci n’est surement pas étranger au fait qu’en  2004 la Conservation foncière de Tanger a fait l’objet d’une enquête  de la brigade de la police  économique et financière sur << le dossier d’une mafia  de l’immobilier  spécialisée dans la falsification des titres fonciers dans le but d’acquérir  des biens immobiliers d’une manière illégale >> (La gazette du Maroc  27 décembre 2004). Aujourd’hui Il semble que les aigrefins de Tanger aient fait des émules et c’est la raison qui m’a incité à me joindre à l’action de l’Association.
Mais la situation déplorable des victimes face  à des situations souvent inextricables  dans lesquelles elles se débattent , constitue la deuxième raison de mon intervention .  Le 14 novembre 2013 le journal Libération (page 1 et 2)  a fait état de la situation d’un Marocain résidant en France et qui  , de retour à Fès à la fin de l’année 2011 , a constaté qu’un immeuble avait été construit sur un terrain lui appartenant : il s’est naturellement adressé à la justice et sa famille a poursuivi cette action après son décès ; mais au bout de deux années de procédure celle ci n’avait toujours  pas réussi à obtenir de la justice la reconnaissance de son droit .
Il faut imaginer l’état de désarroi  de ces propiétaires spoliés qui ont le sentiment de leur  impuissance face non pas à des hommes mais à des institutions , à des procédures dont la complexité leur sont étrangères et dont naïvement ils pensaient qu’elles les protégeraient  contre l’arbitraire alors qu’en réalité elles ne leur apportent que déception.
Cet aspect humain de la spoliation a constitué le deuxième facteur déterminant qui m’a conduit à  m’associer aux efforts de l’Association
Enfin  il est une troisième  raison plus  fondamentale encore , qui découle du fait que , professeur de droit même retraité , j’ai eu le sentiment  qu’ayant consacré une grande partie de ma vie professionnelle à l’enseignement du droit et spécialement du droit  marocain , je ne pouvais pas me désintéresser d’une action qui avait pour finalité la défense d’un droit fondamental , le droit de propriété , droit foulé au pied du fait de l’action de personnages que l’on peut qualifier d’affairistes pour ne pas dire plus , bénéficiant de la complaisance sinon de la complicité  des représentants  de l’autorité publique .
Le droit de propriété est un droit consacré par toutes les constitutions du Royaume depuis la constitution de 1962 . D’ailleurs  il n’est pas sans intérêt de rappeler que le projet de constitution de 1908 , précisément élaboré à Tanger , comportait un article  23 qui disposait : << Une garantie est donnée  à chaque marocain pour sa fortune et ses biens  >> sous la seule réserve  des besoins de l’utilité publique et moyennant << une décision  du Conseil consultatif et  approbation expresse du Sultan :il sera donné au propriétaire une véritable indemnité >>    . 
Le respect absolu  de ce droit comme d’ailleurs des autres droits et libertés , est la condition pour assurer la sécurité juridique en l’absence de laquelle l’organisation de la vie sociale , économique et politique  n’est pas concevable ; c’est là une exigence absolue de l’Etat de droit  .
C’est la raison pour laquelle la constitution de 2011 a renforcé la protection de ces droits et libertés ; elle a également  insisté sur la nécessaire indépendance de la justice , l’exigence de la transparence de l’action administrative et de l’intégrité des agents qui  représentent l’autorité publique . Mais pour que ces principes constitutionnels passent dans les faits il est essentiel  que les autorités  administratives , policières et judiciaires soient à la hauteur de la mission qui leur est confiée. La décision rendue par la juridiction casablancaise dans l’affaire Brissot   il y a quelques semaines  est à cet égard particulièrement encourageante car elle signifie la fin de l’impunité pour  les escrocs  et leurs complices ; c’est en tous cas ce que l’on peut désormais espérer.
           12 avril 2014   
           Professeur Michel Rousset.


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